Les structures en béton armé, piliers de la construction moderne, se retrouvent partout, des fondations de nos habitations aux ponts imposants qui traversent nos paysages. Cependant, un dimensionnement imprécis ou une mise en œuvre défaillante des armatures peut avoir des conséquences désastreuses, allant de fissures disgracieuses à l’effondrement total de la structure. La réparation du béton armé représente chaque année un coût important, souvent imputable à des erreurs de conception ou d’exécution. C’est pourquoi la maîtrise du calcul et de la mise en place des armatures béton est indispensable pour assurer la sécurité, la durabilité et la performance de vos ouvrages.

Que vous soyez étudiant en génie civil, ingénieur débutant, technicien du bâtiment ou auto-constructeur, vous trouverez ici des informations claires et pratiques pour maîtriser cet aspect crucial de la construction.

Principes fondamentaux du béton armé

Avant d’aborder le calcul et la mise en place des armatures, il est essentiel de bien comprendre les principes fondamentaux qui régissent le comportement du béton armé. Cette section détaille les matériaux constitutifs, les sollicitations subies par les structures, et les notions clés comme l’adhérence et l’enrobage, garants de la performance et de la longévité de l’ouvrage.

Matériaux : béton et acier

Le béton armé est un matériau composite formé de béton et d’acier. Le béton excelle en compression, mais sa résistance à la traction est limitée. L’acier, au contraire, possède une excellente résistance à la traction. L’association de ces deux matériaux permet de créer un ensemble résistant à la fois à la compression et à la traction, idéal pour la construction.

  • Béton : Les classes de résistance du béton (C25/30, C30/37, etc.) indiquent sa résistance caractéristique à la compression à 28 jours, conformément à la norme NF EN 206. Une classe plus élevée permet de supporter des contraintes plus importantes. La qualité du béton dépend également du dosage des constituants, de la vibration lors de la mise en place, et d’une cure adéquate pour éviter une dessiccation rapide. Un béton mal dosé peut réduire la résistance de la structure de près de 20%.
  • Acier d’armature : Les aciers d’armature (HA pour Haute Adhérence, FeE pour Fer Extra Élaboré) se caractérisent par leur limite élastique et leur résistance à la traction. Les barres droites, treillis soudés, cadres et étriers sont les formes d’armatures les plus courantes. La norme NF EN 10080 encadre les aciers pour béton armé soudables. Un acier S500, couramment utilisé, a une limite élastique garantie de 500 MPa. Il est crucial que l’acier présente une ductilité suffisante.

Sollicitations : comprendre les forces en jeu

Une structure en béton armé est soumise à diverses sollicitations, que l’on peut classer en plusieurs catégories. La compréhension de ces sollicitations est indispensable pour dimensionner correctement les armatures et assurer la sécurité de l’ouvrage.

  • Types de sollicitations : On distingue principalement la traction, la compression, la flexion, le cisaillement et la torsion. Chaque sollicitation engendre des contraintes spécifiques dans le béton et l’acier. Par exemple, une poutre fléchie est soumise à de la traction dans sa partie inférieure et à de la compression dans sa partie supérieure.
  • Combinaisons de charges : Les charges permanentes (poids propre de la structure, équipements fixes), les charges variables (charge d’exploitation, neige, vent) et les charges accidentelles (séisme, incendie) sont combinées selon les règles définies par l’Eurocode 0 pour simuler les situations les plus défavorables. Une combinaison courante est 1.35G + 1.5Q, où G est la charge permanente et Q la charge variable.

Notions clés : adhérence, enrobage et états limites

La compréhension de certaines notions est fondamentale pour appréhender le calcul et le rôle des armatures dans une structure en béton armé. Ces notions incluent la contrainte, la déformation, l’adhérence, l’enrobage, ainsi que les états limites ultimes et de service, définis par l’Eurocode 2.

  • Contraintes et déformations : La contrainte est la force par unité de surface agissant sur un matériau, tandis que la déformation est la variation de dimension de ce matériau sous l’effet de la contrainte. La loi de Hooke relie ces deux grandeurs pour les matériaux élastiques dans leur domaine élastique.
  • Adhérence béton-acier : L’adhérence est la force qui assure la liaison entre le béton et l’acier, permettant aux armatures de reprendre les efforts de traction. Elle dépend de la qualité du béton, de la forme des armatures (barres HA) et de l’enrobage. Un défaut d’adhérence peut réduire la capacité portante de la structure de 30%.
  • Enrobage : L’enrobage est l’épaisseur de béton qui recouvre les armatures. Il protège les armatures contre la corrosion, assure l’adhérence béton-acier et offre une protection contre l’incendie. L’épaisseur minimale dépend de l’environnement (agressivité du milieu, selon la norme NF EN 1992-1-1) et du type d’armature. Un enrobage insuffisant peut entraîner une corrosion prématurée des armatures.
  • État Limite Ultime (ELU) et État Limite de Service (ELS) : L’ELU correspond à la ruine de la structure (effondrement, rupture). L’ELS correspond à des critères de confort et de durabilité (fissuration excessive, déformations importantes). Le dimensionnement des armatures doit satisfaire aux exigences de l’ELU et de l’ELS, conformément à l’Eurocode 2.
  • Coefficient de sécurité : Les coefficients de sécurité, définis par les normes, sont appliqués aux charges et aux résistances des matériaux pour tenir compte des incertitudes et garantir un niveau de sécurité adéquat. Un coefficient de sécurité de 1.5 est couramment appliqué aux charges variables.

Calcul des armatures : méthodes et applications

Un dimensionnement précis des armatures est la pierre angulaire de toute structure en béton armé sécurisée et durable. Cette section présente les différentes méthodes de calcul, en mettant l’accent sur le calcul des armatures en flexion et en effort tranchant, sollicitations les plus fréquentes. Des exemples concrets illustrent les principes et les étapes du calcul.

Méthodes de calcul : simplifiée ou éléments finis

Plusieurs méthodes permettent de calculer les armatures, allant des approches simplifiées aux analyses complexes par éléments finis. Le choix de la méthode dépend de la complexité de la structure et du niveau de précision recherché.

  • Méthode simplifiée : Basée sur des hypothèses simplificatrices, cette méthode est adaptée aux cas simples, comme les poutres isostatiques simplement appuyées. Elle permet une estimation rapide de la section d’armatures nécessaire, en utilisant des abaques ou des formules simplifiées.
  • Méthode des éléments finis : Cette méthode avancée permet de modéliser précisément le comportement de la structure et de tenir compte de tous les paramètres pertinents (géométrie complexe, chargements variés, etc.). Elle est indispensable pour les structures complexes et les situations exigeant une grande précision. Des logiciels comme Robot Structural Analysis ou SAP2000 facilitent l’application de cette méthode.

Calcul des armatures en flexion : un exemple détaillé

Le calcul des armatures en flexion consiste à déterminer la section d’armatures longitudinales nécessaire pour reprendre les efforts de traction dans les zones tendues de la structure. Il repose sur des hypothèses simplificatrices, telles que la conservation des sections planes et la parfaite adhérence béton-acier. L’Eurocode 2 fournit un cadre normatif pour ce calcul.

Prenons l’exemple d’une poutre en béton de largeur b = 300 mm et de hauteur utile d = 500 mm, soumise à un moment de flexion Mu = 250 kNm. Nous utilisons un béton C25/30 (fck = 25 MPa) et un acier S500 (fyk = 500 MPa). L’objectif est de calculer la section d’armatures As nécessaire pour résister à ce moment.

  1. Calcul du moment réduit : μu = Mu / (b * d² * fck) = 250 * 10^6 / (300 * 500² * 25) = 0.133
  2. Vérification : μu < μlim (valeur limite fonction de la redistribution des moments, généralement 0.372 pour un acier S500) : la condition est vérifiée.
  3. Calcul du coefficient : ξ = 1 – √(1 – 2 * μu) = 1 – √(1 – 2 * 0.133) = 0.144
  4. Calcul du bras de levier : z = d * (1 – 0.5 * ξ) = 500 * (1 – 0.5 * 0.144) = 464 mm
  5. Calcul de la section d’armatures : As = Mu / (z * fyk / γs) = 250 * 10^6 / (464 * 500 / 1.15) = 1235 mm² (où γs = 1.15 est le coefficient de sécurité de l’acier)
  6. Vérification de l’armature minimale : As,min = 0.26 * b * d * fctm / fyk = 0.26 * 300 * 500 * 2.56 / 500 = 200 mm² (fctm est la résistance à la traction du béton, environ 2.56 MPa pour un C25/30). As > As,min : la condition est vérifiée.

Nous devons donc prévoir une section d’armatures longitudinales d’au moins 1235 mm². Il convient de choisir des barres d’acier dont la section totale est supérieure ou égale à cette valeur. Par exemple, 4 barres de HA20 (diamètre 20 mm) offrent une section de 4 * π * 20² / 4 = 1256 mm², ce qui convient.

Calcul des armatures d’effort tranchant : assurer la résistance au cisaillement

Le calcul des armatures d’effort tranchant consiste à déterminer la section d’armatures transversales (étriers, cadres) nécessaire pour reprendre les efforts de cisaillement dans la structure. Ces armatures empêchent la fissuration oblique et garantissent la résistance au cisaillement. L’Eurocode 2 fournit des règles précises pour ce calcul.

Pour une poutre supportant une charge importante, les étriers sont dimensionnés pour reprendre l’effort tranchant. Selon l’Eurocode 2, le pourcentage minimal d’armatures d’effort tranchant doit être d’au moins 0.08% de la section du béton (ρw,min = 0.08%). Cela assure une bonne résistance au cisaillement et prévient une rupture soudaine. Si l’effort tranchant est trop important, il est nécessaire d’augmenter la section des étriers ou de diminuer leur espacement.

Calcul des armatures de compression : cas des poteaux

Le calcul des armatures de compression est crucial pour les poteaux, éléments principalement soumis à des charges de compression. Il est impératif de tenir compte du risque de flambement, qui peut entraîner une rupture prématurée de la structure. Les règles de l’Eurocode 2 doivent être scrupuleusement respectées.

Armatures complémentaires : optimisation du comportement structurel

Au-delà des armatures principales (flexion, effort tranchant, compression), des armatures complémentaires sont souvent nécessaires pour optimiser le comportement de la structure. Elles comprennent les armatures de montage, de peau et de renfort.

  • Armatures de montage : Ces armatures facilitent la mise en place des armatures principales et assurent leur positionnement correct lors du coulage.
  • Armatures de peau : Ces armatures, placées sur les faces latérales des poutres, limitent la fissuration due au retrait du béton.
  • Armatures de renfort : Ces armatures sont ajoutées dans les zones critiques pour renforcer la structure et augmenter sa résistance locale.
Type d’élément Section minimale d’armatures longitudinales
Poutre 0,26 * (fctm / fyk) * b * d ≥ 0,0013 * b * d (fctm selon EN 1992-1-1, b = largeur, d = hauteur utile)
Dalle 0,20 % de la section de béton (As,min = 0.002 * Ac)
Poteau 0,80 % de la section de béton (As,min = 0.008 * Ac)

Mise en place des armatures : les règles de l’art

La mise en place des armatures est une étape aussi importante que le calcul. Un calcul précis peut être rendu caduc par une mauvaise mise en œuvre. Une exécution soignée, respectueuse des règles de l’art, est donc indispensable.

Plan de ferraillage : la feuille de route de l’armature

Le plan de ferraillage est un document technique essentiel qui décrit la disposition, les dimensions et les caractéristiques de toutes les armatures de la structure. Il constitue la feuille de route pour une mise en place correcte et efficace. Il doit comporter une nomenclature précise des armatures, des cotations claires et des symboles normalisés (NF A 35-027).

Façonnage des armatures : précision et respect des rayons de courbure

Le façonnage des armatures consiste à couper, cintrer et assembler les barres d’acier selon les indications du plan de ferraillage. Il est crucial de respecter les rayons de courbure minimaux (indiqués dans l’Eurocode 2) pour éviter d’endommager l’acier et de compromettre sa résistance. Le cintrage à froid est la méthode la plus courante.

Façonnage des armatures

Les points clés du façonnage des armatures :

  • Cintrage : Réaliser un cintrage correct, en respectant les rayons minimaux. Un rayon trop faible peut provoquer une fragilisation de l’acier.
  • Coupe : Une coupe nette et précise est essentielle pour assurer une bonne adhérence avec le béton.
  • Assemblage : Les techniques d’assemblage doivent garantir la stabilité des armatures pendant le coulage.

Assemblage des armatures : ligatures, soudure et clips

L’assemblage des armatures consiste à lier les barres entre elles à l’aide de ligatures (fil de fer recuit), de soudures ou de clips. La qualité de l’assemblage est essentielle pour garantir la stabilité de l’ensemble et le bon positionnement des armatures lors du coulage du béton. La soudure doit être réalisée par un personnel qualifié, selon les normes en vigueur.

Positionnement et calage : le respect de l’enrobage

Le positionnement et le calage des armatures consistent à les maintenir en place pendant le coulage du béton, en respectant scrupuleusement l’enrobage minimal et les tolérances de positionnement. L’utilisation de cales en plastique ou en mortier est indispensable pour garantir un enrobage correct et uniforme. La norme NF EN 13670-1 encadre ces aspects.

Positionnement et calage des armatures

Type d’élément Enrobage minimal (mm)
Poutre exposée aux intempéries (milieu XC3 selon EN 206) 35
Dalle à l’intérieur d’un bâtiment (milieu XC1 selon EN 206) 20
Fondation en contact avec le sol (milieu XA1 selon EN 206) 50

Recouvrement des armatures : assurer la continuité des efforts

Le recouvrement des armatures est nécessaire pour assurer la continuité des armatures lorsqu’elles sont trop courtes pour couvrir toute la longueur de l’élément de structure. La longueur de recouvrement, calculée selon l’Eurocode 2, doit être suffisante pour permettre le transfert des efforts entre les barres. Un recouvrement trop court compromet la résistance de l’ouvrage.

Recouvrement insuffisant

Un recouvrement mal réalisé peut entraîner :

  • Une concentration des contraintes
  • L’apparition de fissures
  • Une diminution de la résistance de la structure

Tolérances de mise en œuvre : les écarts admissibles

Les tolérances de mise en œuvre définissent les écarts admissibles par rapport aux positions théoriques des armatures. Le respect de ces tolérances est essentiel pour garantir la sécurité et la durabilité de la structure. La norme NF EN 13670-1 définit les exigences pour l’exécution des structures en béton.

Contrôle de la mise en place : vérification et gabarits

Le contrôle de la mise en place consiste à vérifier que les armatures sont correctement positionnées, calées et assemblées, et que l’enrobage minimal est respecté. Ce contrôle peut être réalisé visuellement ou à l’aide de gabarits de contrôle. Un contrôle rigoureux permet de détecter et de corriger les erreurs avant le coulage du béton.

Erreurs courantes et bonnes pratiques : un gage de qualité

La connaissance des erreurs fréquentes dans le calcul et la mise en place des armatures, ainsi que l’adoption de bonnes pratiques, sont cruciales pour garantir la qualité de l’ouvrage. La prévention reste la meilleure approche pour éviter les problèmes et assurer la pérennité des structures en béton armé.

Exemples d’erreurs :

  • Erreurs de calcul : Mauvaise estimation des charges, erreur dans l’application des formules de calcul (Eurocode 2), oubli de la vérification des armatures minimales.
  • Erreurs de mise en place : Enrobage insuffisant, recouvrement trop court ou mal positionné, ligaturage insuffisant, oubli d’armatures transversales.

Conséquences d’une mauvaise exécution :

  • Fissuration prématurée du béton
  • Corrosion des armatures
  • Réduction de la résistance de la structure
  • Effondrement partiel ou total de la structure

Bonnes pratiques à adopter :

  • Respecter scrupuleusement les normes et règlements en vigueur (Eurocode 2, NF EN 206, NF EN 13670-1).
  • Vérifier attentivement les plans de ferraillage avant la mise en œuvre.
  • Contrôler la qualité des matériaux (béton et acier) avant leur utilisation.
  • Surveiller attentivement la mise en place des armatures à chaque étape du processus.
  • Former le personnel aux bonnes pratiques d’exécution des travaux de ferraillage.

Conclusion : L’Exigence de la maîtrise

La maîtrise du calcul et de la mise en place des armatures béton est un enjeu majeur pour la sécurité, la durabilité et la performance des structures. Cet article a présenté les principes fondamentaux, les méthodes de calcul et les règles de mise en œuvre, en insistant sur les erreurs courantes et les bonnes pratiques à privilégier. L’application rigoureuse des normes et une formation continue sont les clés d’une construction de qualité.

Une vigilance constante et une formation continue sont indispensables pour garantir la qualité des ouvrages et éviter les accidents. L’évolution des techniques et des matériaux nécessite une adaptation permanente des connaissances et des pratiques. Se tenir informé des dernières avancées et des nouvelles normes est donc essentiel pour tout professionnel de la construction.